18-HALITIM

Entre Rhône et Loire :  La verrerie de Givors

Nadine Halitim-Dubois

Il y a entre Rhône et Loire un territoire qui forme la ligne de partage des eaux entre les deux bassins, tous deux marqués par une identité industrielle forte. Les paysages y sont façonnés par l’activité économique, ils sont constitués par le bâti mais également par la topographie, le réseau hydrographique et les voies de communication qui ont un impact direct sur le territoire.

Il faut peut-être questionner, sur ce territoire, « les traces et mémoires de l’industrie », espaces communs et singuliers, engendrés par la désindustrialisation. Dans le cas particulier de l’industrie du verre et des grandes verreries qui ont marquées ce territoire dès la fin du XVIIIe siècle, on trouve encore dans le paysages des éléments qui sont de véritables signaux, telle la cheminée-château d’eau, dernier témoin bâti des grandes Verreries de Givors. 

Au milieu du XVIIIe siècle, l’administration décide de limiter l’abattage des arbres qui fournissait le charbon de bois aux verreries, grande consommatrice d’énergie. La mise en exploitation des mines de charbon qui a lieu à la même période dans la vallée du Gier fournit une solution alternative et attire les verriers dans une région où ils étaient jusqu’alors peu présents.

En 1780, l’ouverture d’un canal entre Givors et Rive-de-Gier, permis de transporter le sable prélevé dans le Rhône (nécessaire à la fabrication du verre avec un composé de soude de potasse et de produits alcalino-terreux chauffé à une température 1500°) à proximité des mines de charbon, ce qui encouragea l’essor de cette industrie. Les verriers furent ainsi les pionniers de l’industrialisation de ce secteur du bassin houiller de la Loire, précédant de plusieurs années les maîtres de forges. Plus d’une dizaine de verreries s’installent à proximité de Givors dont plusieurs sont venus de Franche-Comté, région qui jouissait d’un privilège royal accordé en 1749 pour une durée de 20 ans, lui donnant le monopole de la production verrière.


C’est après la fin de ce privilège qu’en 1800, s’établit à Givors Melchior Neuvesel, qui s’associe avec un verrier franc-comtois, Henri Bollot, pour créer la société « Bollot-Neuvesel et Cie » située au lieu-dit le port des verriers. En 1819, la société est dissoute, Melchior garde deux fours et s’associe à son frère Joseph, en fondant la société « Neuvesel Frères». En 1853, la verrerie est intégrée au sein de la « Société Générale des Verreries de la Loire et du Rhône ». Cette société regroupe des verreries situées aussi bien à Saint-Etienne et Rive-de-Gier qu’à Givors. Jean-Baptiste Neuvesel fait partie de l’équipe dirigeante puis crée en 1864 avec Jean-Baptiste Momain « les Nouvelles Verreries de Givors », il en reste le propriétaire négociant, après le rachat de la verrerie par Jean-Baptiste May et Cie à l’emplacement actuel de la verrerie.


En 1869, son fils Fleury entre dans la société pour s’occuper de la comptabilité
et exercer le métier de souffleur. La verrerie comprend alors trois fours de fusion de huit grands creusets de 10 places chacun et les annexes habituelles, telles que les pileries à vapeur, la briqueterie, les chambres à creusets, la forge, la vannerie. Elle fabrique du verre creux, bouteilles, bonbonnes de toutes couleurs et dimension avec des fours à creusets, toutes les opérations restant encore manuelles.


En 1878, une grande innovation est réalisée avec la modification des trois fours existant en fours Siemens réduisant ainsi les consommations d’énergie et permettant de fabriquer en continu en en grande quantité. Cela conduit à l’introduction du travail de nuit.


En 1900, Fleury Neuvesel succède à son père Jean-Baptiste. Sa fille Marie épouse Eugène Souchon, ingénieur dans l’entreprise qui prendra la direction de la verrerie en 1907. Les premières machines semi automatiques Boucher sont mises en place sur un nouveau four. Il s’agit de la première mécanisation de l’industrie du verre qui va progressivement se transformer, le « soufflage » à la bouche s’effectuant dorénavant à l’air comprimé. Ce nouvel essor apporte de nombreux accords économiques avec des sociétés d’eau minérales : Vittel, Evian, Vals. 

En 1921, la production se mécanise totalement avec les machines O’Neill et Lynch et les feeders Rankin permettant les opérations de « cueillage » du verre de manière automatique. En 1939-1945, l’usine est plusieurs fois bombardée par l’aviation alliée. En 1970, avec la fusion de VSN (verre creux) et des glaces de Boussois (verre plat), c’est la création de la société BSN « Boussois-Souchon-Neuvesel » présidé par Antoine Riboud. En 1986, les Verreries Mécaniques Champenoises (VMC) rejoignent le groupe. En 1993 et 1994, BSN renforce ses activités verre plat au niveau européen et entame une stratégie de diversification dans l’alimentaire : Kronenbourg, Evian… 

Tout cela aboutit en 2001, à la fusion de BSN et de Gervais-Danone. À cette date 300 personnes travaillent à la verrerie de Givors. Suite à la fusion, l’activité verre plat est abandonnée au profit de l’alimentaire. Très vite un processus de fermeture programmée de l’usine va se dessiner pour la fin de l’année 2002. Un panneau est posé à l’entrée des jardins ouvriers localisés à proximité de l’usine indiquant que la société VMC récupérera la libre disposition des terrains à partir du 31 mars 2003. La société VMC-BSN-Glasspack du site de Givors dont le repreneur sera O-I Manufacturing, fermera entre le 15 janvier 2003 (fermeture technique) et juin 2003 (fermeture administrative). 

Au cours de l’histoire, les effectifs de la verrerie ont variés en fonction du nombre de fours. En 1864 avec un seul four on comptait 55 ouvriers verriers (sans compter les enfants), en 1869 avec trois fours on passe à 300 personnes. Avec l’arrivée du four Siemens en 1878, l’effectif passe à 400 ouvriers verriers et de 1911 à 1930, 600 personnes travaillent à la verrerie en comptant les saisonniers. Ce chiffre baissera à partir de la Seconde Guerre mondiale à environ 480 personnes.

Depuis plusieurs années une procédure collective de reconnaissance de maladies professionnelles est menée par les verriers. Début 2017, la Cour de cassation a confirmé le jugement de la cour d’appel de Lyon sur la reconnaissance comme maladie professionnelle du cancer ayant emporté un verrier de Givors exposé trente-trois années durant à des poussières d’amiante et des brouillards d’huile transformés en HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques). 

Reste aujourd’hui comme dernière trace visible de cette histoire du verre, la cheminée  de forme conique de 51,65 m de hauteur. Elle supporte un château d’eau de 200 mètres cubes à 16 m du sol, ajouté en 1929, ce qui la rend atypique et en fait une curiosité du paysage givordin. Sans protection monuments historiques, ni autre, bien que très patrimoniale, elle est aujourd’hui toujours en place peut-être parce que bien placée, en alignement sur la rue et peut-être à cause du coût trop élevé de sa démolition et de la dépollution qui l’accompagne. 

Sources

  • Lafferrère Michel, l’histoire du verre dans la Région Rhône-Alpes, revue de Géographie de Lyon, vol 68, 1/93, p.41-50.
  • Gailhot Xavier, la verrerie Souchon-Neuvesel de Givors (1864-1966), Dépasser son histoire pour construirez le futur, maîtrise d’histoire contemporaine, Lyon 2, 1996-1997. 
  • CERPI, Les cheminées d’usine du pays du Gier (p. 22-23), 2001
  • Rautenberg Michel, La rupture patrimoniale, Bernin, « à la croisée », 2003.
  • Edelblutte Simon, Paysages et territoires de l’industrie en Europe, héritages et renouveaux, ellipses, 2009.
  • Marc Augé, Les non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, le Seuil, 1992.
  • Notteghem Patrice, Tous les paysages sont historiques, écomusée du Creusot, 1989.
  • Vasset Philippe, Un livre blanc, Paris, Fayard, 2007.
  • Halitim-Dubois N.,Zanetti T., Industries en héritages, entre architecture et paysage, livret exposition photographique, Biennale Internationale du Design de Saint-Etienne 2017 «  les Mutations du travail », DPMG, service reprographie, Région Auvergne-Rhône-Alpes, 2017.
  • L’Humanité, article sur les maladies professionnelles,  Lundi, 20 Mars, 2017